Lac Tanganyika, entre défis et opportunités

Yves-Jusslin Maniratanga

Cet article se penche sur les défis et opportunités associés au lac Tanganyika, un écosystème sans pareil sur la planète. Ce vaste réservoir naturel, partagé entre quatre pays, se trouve au cœur de multiples enjeux économiques, environnementaux et sociaux. Ces nations cherchent à exploiter ses précieuses ressources tout en naviguant les complexités de la préservation environnementale et de la coopération transfrontalière.

Introduction

Au cœur de l’Afrique se trouve la région des Grands Lacs. Parmi les nombreux lacs qui peuplent cette région subsiste celui qui est reconnu comme étant le deuxième plus profond au monde [1], et la source du sixième de toutes les eaux douces de la planète [2]. Ce dernier se dénomme le lac Tanganyika. Plusieurs enjeux entourent l’exploitation économique du lac—notamment, sa répartition sur plusieurs pays différents de la région et la problématique liée à l’usage actuel du lac par les douze millions de personnes [3] qu’il dessert. Tandis qu’on envisage actuellement l’exploitation des ressources pétrolières du lac, cette exploitation entraînerait certains problèmes. Malgré les enjeux, je demeure confiant de l’existence de nouvelles perspectives d’exploitation qui pourraient être saines et bénéfiques pour les populations aux alentours.

L’exploitation pétrolière

Tout d’abord, il est largement admis que le lac Tanganyika suscite un intérêt pour ses ressources pétrolières, provoquant des préoccupations environnementales majeures ainsi que des tensions politiques. En effet, le Lac Tanganyika dessert la République du Burundi, la République Démocratique du Congo, et la République Unie de la Tanzanie ainsi que la Zambie [4]. Au fil des années récentes, certains des pays bordant le lac, dont le Burundi et la Tanzanie, ont octroyé des permis d’exploration des ressources pétrolières qui s’y trouvent [5]. Pour éviter des potentiels soucis transfrontaliers liés à l’exploitation pétrolière du lac, les pays ont opté pour une exploration commune [6]. Une telle exploitation présente cependant des défis. La Convention sur la gestion durable du lac Tanganyika, signé par les mêmes pays en 2003, leur impose notamment une obligation d’assurer que les activités sous leurs juridictions ne causent pas d’impacts transfrontaliers néfastes [7]. Pourtant, selon des experts bilatéraux, l’exploitation pétrolière par un pays sur sa partie domestique du Lac Tanganyika aurait des impacts préjudiciables transfrontaliers pour les autres parties bordant le lac [8]. Ainsi, d’une part, les états veulent exploiter conjointement le lac, mais d’autre part, il y a une reconnaissance des impacts d’une telle exploitation sur les autres parties à la convention. Cette contradiction suscite des considérations plus qu’environnementales.

Lesdites considérations sont plutôt d’ordre économique. En effet, le Burundi souffre malheureusement d’un manque criant de devises [9]. De ce fait, il devient de plus en plus difficile de se procurer du carburant ou d’autres produits de première nécessité qui ne peuvent être obtenus par une production locale, sans devises [10]. Dans une économie qui dépend fortement de l’agriculture [11], le manque de ces produits et du carburant augmente aussi les prix des matières finies et contribue à l’inflation [12]. Le cas du Burundi s’apparente à celui de plusieurs pays de la région qui cherchent donc à s’autosuffire et exporter (des produits comme le pétrole) pour faire face aux déficits de devises [13].

Plusieurs études sur le terrain concluent que l’exploitation pétrolière du lac Tanganyika implique des grands risques environnementaux [14]. Au Nigeria, l’exploitation démesurée du pétrole a eu des conséquences néfastes sur les eaux douces du Delta du Niger en raison des fuites de pétrole brut et l’échappement de produits chimiques [15]. Ainsi, les décennies d’exploitation du pétrole ont eu des effets préjudiciables pour la faune et la flore du pays [16]. On craint donc légitimement qu’une exploitation entrainerait une semblable tragédie environnementale autour du lac Tanganyika. Considérant que le lac contribue directement à la subsistance de plus de dix millions de personnes, cela aggraverait fortement la situation socio-économique du pays, et ce même si une potentielle exploitation était réussie. En somme, les bénéfices économiques provenant d’une exploitation pétrolière potentielle du lac sont fortement contrecarrés par les conséquences environnementales que cette dernière engendrerait.

L’exploitation durable

C’est donc dans ce contexte qu’il serait plus sage de considérer des options de collaborations dans la recherche d’une exploitation durable du lac qui présente plusieurs opportunités. À mon avis, on devrait étudier le potentiel énergétique du lac Tanganyika à partir de l’hydraulique. En effet, un projet hydroélectrique s’est déjà fait sur une rivière qui ressort du lac, la Ruzizi [17]. Je me demande si on pourrait se baser sur l’expérience de la Ruzizi pour évaluer la possibilité de créer les conditions nécessaires à l’installation de barrages autour du lac Tanganyika. Par exemple, on pourrait imaginer des lacs artificiels, aux mêmes caractéristiques, qui se déverseraient dans le lac Tanganyika à partir de l’intérieur des territoires qui le bordent. Les barrages hydroélectriques permettraient aux pays autour du lac d’augmenter leur production énergétique de manière durable. Étant donné le capital politique que les énergies renouvelables gagnent au fil des années, les pays qui s’avancent vers une diplomatie écologique auront plus d’influence dans les négociations à venir. Il serait donc dans l’intérêt de la région des Grands Lacs d’opérer cette transition le plutôt possible. Cela étant dit, il n’y a pas, à ce jour eu des études faites quant à la faisabilité d’une telle option.

Tout de même, ce potentiel devrait être dûment exploré puisqu’il permettrait à la région de faire le choix du développement durable au lieu de celui du pétrole. Cela permettrait d’entamer une tendance écologique en Afrique qui contribuera à la lutte aux changements climatiques. Par le passé, certaines puissances pétrolières tel que le Nigeria ont choisi l’or noir [18], aujourd’hui, la région des Grands Lacs d’Afrique peut choisir les énergies vertes.

Yves-Jusslin Maniratanga est un étudiant en seconde année du programme BCL/JD de McGill. Il détient un intérêt marqué par l’interaction entre le droit de l’environnement et le développement durable des pays en développement. Avant d’entamer des études en droit, il a complété un DEC en Commerces au CEGEP Dawson. Tous mes remerciements à Sofia Watt Sjöström pour le soutien et les précieux conseils durant le processus de rédaction de ce blog.

[1] Harris Phiri et al, « Lake Tanganyika: status, challenges, and opportunities for research collaborations » (2023) 49 J Great Lake Research à la p 2, en ligne: <doi.org/10.1016/j.jglr.2023.07.009>.

[2] Ibid à la p 2.

[3] Ibid à la p 2.

[4] Ibid à la p 2.

[5] International Crisis Group, L’or noir au Congo : risque d’instabilité́ ou opportunité de développement?, Rapport Afrique N°188, Kinshasa/Nairobi/Brussels, International Crisis Group, 2012 aux pp 9–10; Benjamin Auge et Rose Nakyi, « Eastern Africa: A New Oil and Gas Frontier » (2013) 48:1 Observatoire des Grands Lacs en Afrique 1 au para 10.

[6] «Quatre pays discuteront d'une exploration commune du gaz dans le lac Tanganyika», Arib Info (9 février 2017) , en ligne : <www.arib.info/index.php?option=com_content&task=view&id=16183&Itemid=69>

[7] The Convention on the Sustainable Management of Lake Tanganyika, Burundi, République démocratique du Congo, Tanzanie, Zambie, 12 juin 2003, 2338 RTNU 41902 art 6.

[8] Zéphyrin Maniratanga, Représentant Permanent de la République du Burundi aux Nations Unies, (13 janvier 2024) par communication orale [communiqué à l’auteur].

[9] Félix Haburiyakira, « Pénurie de devises Les opérateurs économiques désemparés », Éditions Iwacu (5 avril 2023), en ligne : <iwacu-burundi.org/penurie-de-devises-les-operateurs-economiques-desempares/>

[10] Hervé Mugisha, « Pénurie de carburant : aveu d’impuissance… » Éditions Iwaco (26 décembre 2023), en ligne : <iwacu-burundi.org/penurie-de-carburant-aveu-dimpuissance/>

[11] Alain Cazenave-Piarrot, « Burundi : une agriculture à l’épreuve de la guerre civile » (2004) 226-227 Les Cahiers d’Outre-Mer 1 à la p 1.

[12] Egide Harerimana,« Burundi/Inflation : Olucome appelle à des solutions urgentes », Éditions Iwacu (22 février 2023), en ligne : < iwacu-burundi.org/burundi-inflation-olucome-appelle-a-des-solutions-urgentes/>.

[13] Voir par ex : Idriss Linge, «La redoutable pénurie de devises qui s’annonce mobilise les gouvernements africains», Agence Ecofin (19 mai 2020), en ligne : <agenceecofin.com/gestion-publique/1905-76752-la-redoutable-penurie-de-devises-qui-s-annonce-mobilise-les-gouvernements-africains>; Sonia Nelly Keza, « Pénurie de devises : quid d’un « way out » ? », Yaga (4 avril 2023), en ligne : <yaga-burundi.com/penurie-devises-way-out/>.

[14] Erik Verheyen, « Oil extraction imperils Africa's Great Lakes » (2016) 354:6312 Science 561, en ligne: <doi.org/10.1126/science.aal1722>.

[15] Voir généralement Collins N C Ugochukwu et Dr Jurgen Ertel, « Negative impacts of oil exploration on biodiversity management in the Niger De area of Nigeria » (2008) 26:2 Impact Assessment and Project Appraisal 137.

[16] Voir généralement Collins N C Ugochukwu et Dr Jurgen Ertel, « Negative impacts of oil exploration on biodiversity management in the Niger De area of Nigeria » (2008) 26:2 Impact Assessment and Project Appraisal 137.

[17] Jacques Mutarambwira, «Région des Grands Lacs : accord de financement pour la centrale hydroélectrique Ruzizi III», Jeune Afrique (26 Septembre 2014), en ligne : <www.jeuneafrique.com/6395/economie-entreprises/r-gion-des-grands-lacs-accord-de-financement-pour-la-centrale-hydro-lectrique-ruzizi-iii/>; Groupe de la Banque africaine de développement, Résume du plan d’action de réinstallation (par) du projet d’aménagement hydroélectrique de Ruzizi III (Pays : Multinational : Burundi, RD Congo, Rwanda), (Juillet 2015) à la p 3, en ligne (pdf) : <afdb.org/sites/default/files/documents/environmental-and-social-assessments/multinational-burundi-rwanda-rdc-projet_hydroelectrique_de_ruzizi_iii-resume_par_-_fr_-_08_2015.pdf>.

[18] Voir généralement Ugochukwu et Ertel, supra note 20.

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