Volume 21-1
Antoine Laurent
Dès lors que le paysage lie la nature et la société qui l’habite et l’aménage, la question de sa protection concentre les enjeux et difficultés de la pluralité d’intérêts du développement durable. Un bon support de réflexion à ce propos est fourni par un récent arrêt du Conseil d’État français, où figure une tension opposant principalement l’écologie, qui plaide en faveur du développement de l’énergie éolienne, et la culture, qui s’oppose aux changements du paysage faisant écho à une œuvre littéraire majeure, à savoir La Recherche de Proust.
Deux questions se trouvent ainsi mêlées : la première, technique, porte sur l’inclusion d’une dimension immatérielle dans la protection du paysage, c’est-à-dire la prise en considération de son lien avec une œuvre culturelle, indépendamment de ses caractéristiques physiques. La réponse positive qui lui est apportée découle de la notion même de paysage qui lie la nature à sa perception par l’être humain, cette dernière incluant la culture qui l’imprègne et la forge.
La seconde, plus générale, porte sur la conciliation des divers intérêts sociétaux recherchée par le développement durable, et mène à identifier la proportionnalité comme principe sous- jacent du raisonnement juridictionnel. En effet, au regard du risque de protection généralisée du paysage à travers une dimension culturelle exacerbée, qui entraverait tout projet éolien, il convient d’élargir la focale en prenant en compte les autres intérêts en jeu – ici le patrimoine architectural et la vie économique autour du site – et le degré d’atteinte portée par les éoliennes. C’est par cette voie de la proportionnalité que la protection du « paysage culturel » ne mène pas nécessairement à une crispation irrésoluble entre écologie et culture, et qu’est permise la recherche d’une harmonie plus englobante à travers une décision contextualisée et nuancée.
Andre Matheusik
Cet article examine le contrôle judiciaire de la législation déléguée après l'arrêt de principe de 2019 de la Cour suprême du Canada en matière de droit administratif, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Vavilov. En utilisant la réglementation environnementale comme exemple, l'article se concentre sur les règlements adoptés par le Cabinet - un instrument délégué qui a traditionnellement exigé une déférence judiciaire importante lors de l'examen - et examine la tendance récente des cours d'appel à suivre la présomption de raisonnabilité de Vavilov lors de la détermination de la norme d'examen. La législation déléguée est un outil important, mais peu discuté, qui permet aux législateurs canadiens de mettre en œuvre et de créer des lois par l'intermédiaire du pouvoir exécutif. Toutefois,enraisondelasouplessedesrelationsentrelepouvoir législatif et le pouvoir exécutif au Canada, cet important outil législatif peut parfois devenir une méthode détournée permettant aux gouvernements de créer des lois qu'il ne serait pas politiquement souhaitable que le pouvoir législatif adopte directement, car elles seraient alors soumises à la critique, au débat et au vote. Alors que les critiques pourraient considérer l'ingérence judiciaire dans la relation de délégation entre le législatif et l'exécutif comme inappropriée, je soutiens qu'un contrôle judiciaire plus approfondi des réglementations en vertu de Vavilov renforce la séparation des pouvoirs et soutient l'État de droit. Bien que les tribunaux ne remettent pas en question la sagesse politique des délégués, les contraintes de raisonnabilité reformulées par Vavilov peuvent exiger de l'exécutif qu'il justifie de manière plus approfondie les lois qu'il a déléguées par le biais du dossier réglementaire. Dans le cadre de cette approche, le pouvoir législatif conserve sa souveraineté. Sous réserve de la visibilité de la législation primaire, les législateurs peuvent en fin de compte restreindre le contrôle judiciaire dans la mesure où il est constitutionnel par le biais de normes de contrôle imposées par la loi.